mardi 2 septembre 2014

[Chronique] Sólstafir - Ótta

Il y a des évolutions qui sont plus naturelles que d'autres.
Même si le premier album de Sólstafir, Í Blóði og Anda, est étiqueté Black Metal, la Black des islandais n'avait franchement rien de conventionnel, et ce sont justement les conventions que Sólstafir s'est employé à bousculer tout au long de sa carrière, se servant du Metal comme base pour partir vers une autre direction, conservant des bribes métalliques comme fil conducteur à leur évolution, car même si Sólstafir en 2014 n'a plus rien à voir avec le Sólstafir de 2002, les cow-boys islandais ont su conserver leur personnalité et leur identité.
Sólstafir ne fait aujourd'hui plus de Metal mais en conserve l'esprit et toute son essence, on parle aujourd'hui de Post-Rock, d'atmosphérique, de Post-Metal, ou que sais-je encore pour qualifier la musique des islandais, mais malgré sa mutation, Sólstafir ne sonne comme personne d'autre, Sólstafir n'est pas Katatonia, pas Pink Floyd non plus, et encore moins un énième Sigur Ros, non, Sólstafir est Sólstafir, droit dans ses santiags, et Ótta, cinquième album, est une preuve supplémentaire de la brillance des islandais, bien décidés à nous démontrer qu'ils n'avaient pas atteints les limites de leur évolution avec Svartir Sandar...

Une fois encore, ce nouvel album est différent du précédent, mais la progression se fait en douceur, toute en délicatesse, Ótta est la conséquence logique de Svartir Sandar, où le groupe va jouer sur encore plus sur le registre émotionnel, avec un supplément de fluidité dans ses transitions, et une dimension orchestrale plus poussée, cordes et piano seront donc au programme sur chacun des huit titres de la galette.
Il est d'ailleurs à noter que derrière ces huit titres se cache le concept de l'album, en effet, chaque titre représente chacun des huit Eyktir de la journée, des périodes de trois heures divisant la journée dans l'Islande médiévale, cela n'en fait pas vraiment un concept album au sens strict du terme, mais cela va avoir son importance sur l'atmosphère dégagée sur chacun des morceaux, vous imaginez bien que l'ambiance de minuit à trois heures du matin, Lágnætti, sera différente de celle de Nón, qui est la plage horaire allant de 15 à 18h.
24h dans la vie de Sólstafir, qui va profiter de ce concept pour proposer un album bien plus concis que la dernière fois, et surtout beaucoup plus concentré sur l'essentiel, sans les quelques sorties de piste qui émaillées Svartir Sandar, et même si Ótta va de minuit à minuit, ce n'est pas pour autant que Sólstafir va tourner en rond, loin de là.
Ótta est un peu moins évident que son aîné, moins direct, qui se dévoile lentement au fur et à mesure des écoutes, mais le plaisir procuré est à la hauteur du temps passé à décortiquer un album particulièrement envoûtant, à la construction très lente mais qui parvient à conserver un certain sens de l'impact, Ótta est certainement l'album le plus mélancolique du groupe, atmosphérique, traversé de fulgurances et de montées en puissance, qui démontre l'incroyable maîtrise du tempo et des mélodies de la part des islandais, un disque qui donne le sentiment que Sólstafir est désormais enfin à l'aise au croisement du Metal atmosphérique et du post-Rock, Ótta étant l'album de la plénitude, et du recueillement aussi...
On ne sera pas surpris du fait du concept que Lágnætti  débute de manière plutôt calme avec des cordes et du piano soutenant le chant susurré d'Aðalbjörn Tryggvason, des orchestrations qui rappellent ce que peut faire un Ulver récemment, mais la pression va monter progressivement vers un martèlement de batterie qui amène un riff très atmosphérique, le morceau est plutôt long et va lentement enclencher une descente jusqu'au final tout en délicatesse, les quatre premiers morceaux vont d'ailleurs servir de rampe de lancement à deux titres bien plus rythmés et engagés, avant une fin d'album en pente douce, c'est ainsi que s'articule l'album, et l'on va souvent retrouver cette construction au sein des titres, de longs passages atmosphériques qui servent à amener des parties un peu plus couillues et explosives, et malgré l'aspect très contemplatif et calme de la musique de Sólstafir, les islandais sont parvenus à maintenir un ton de guitare plutôt heavy, ce qui n'était pas gagné d'avance, les guitares et la batterie sont souvent minimalistes, ce qui laisse de la place au chant et aux arrangements et aux atmosphères envoûtantes voulues par le groupe.
Le titre éponyme Ótta est assez particulier, on y retrouve les cordes et un piano toujours aussi judicieusement employé, mais l'atmosphère change quelque peu par rapport au premier morceau, avec des sonorités très différentes, un rythme très appuyé, une lead touchante et, petite surprise, c'est un banjo qui trouve toute sa place en se greffant au piano et aux cordes.
Avec Rismál et Dagmál, Sólstafir va faire monter progressivement la température pour que la tambouille arrive à ébullition avec un Miðdegi plus charpenté, avec ses leads contenant une petite vibe western pas désagréable du tout, et un chant un peu plus agressif, alors que dès le titre suivant, même si moins heavy, les islandais vont nous proposer un morceau qui développe une réelle dramaturgie, avec notamment un riff assez rentre-dedans et des leads qui touchent leur cible, renvoyant directement aux cavalcades de l'album précédent.
Le crépuscule approchant, Miðaftann fait une petite pause contemplative, presque une interlude à base de piano et de cordes mélodramatiques chargées de tristesse et de mélancolie, où résonne le chant au loin comme un murmure, un morceau qui amène un Náttmál en forme de longue construction éthérée qui culminera avec une ultime cavalcade aux contours post-Black, un titre qui encapsule toute la science de la construction des islandais, son sens de la mélodie et la complète maîtrise du tempo.
Ótta est tout simplement beau, simple malgré la complexité de ses textures qui s’entremêlent, le son est comme la musique, organique et sincère, et Sólstafir sonne ici de manière très naturelle, impalpable mais profondément ancré dans le réel.

Bien plus condensé et apaisé qu'un Svartir Sandar, Ótta en demeure malgré tout la progression naturelle, un album où la délicatesse se mêle à une rugosité bienvenue qui fait le lien avec les productions passées du groupe, sans malgré tout revenir à des sonorités abrasives.
Sólstafir maîtrise ici l'espace et temps, imprime son propre tempo, avec fluidité et dynamisme, et s'engouffre dans les grands espaces naturels afin de créer une réelle dramaturgie par de brillantes envolées sonores, Sólstafir joue sur l'ambivalence des textures, et parvient à créer une oeuvre aboutie, qu'il est difficile de ranger dans une catégorie précise, tant les islandais continuent d'affirmer une personnalité très forte, en tout point originale, c'est différent, mais cela sonne toujours comme du Sólstafir, authentique, aérien, à la fois sombre et lumineux, Ótta est une oeuvre intense qui jongle avec les émotions et qui propose un sacré voyage dans l'univers particulier des islandais, contemplatif et mélancolique...

Sublime